Le Placement sous Surveillance Electronique Mobile (PSEM) : Un nouvel espace de la peine ?


Le PSEM n’est pas une peine, ce n’est pas non plus une mesure de sûreté à proprement parler mais une des obligations possibles de ce que l’on peut appeler les « nouvelles mesures de sûreté » (surveillance judiciaire et surveillance de sûreté) ainsi que du suivi socio-judiciaire et de la libération conditionnelle. Il s’agit d’un dispositif de localisation des individus basé sur une technologie GPS (système de géolocalisation) et GSM (système de téléphonie mobile). Il permet de connaître en permanence la position du placé et de fixer des zones d’exclusion ou d’assignation selon un certain emploi du temps. Il n’est pas inutile de rappeler que la création de ces mesures de sûreté, en particulier la rétention de sûreté, a provoqué de vives réactions d’opposition. Il a ainsi été pointé qu’elles introduisaient une rupture avec les principes de notre droit1. Cette rupture reposant surtout sur la déconnexion entre ces mesures contraignantes qui ont évidemment un caractère pénal2 et la commission d’une infraction, ce qui a pour conséquence majeure l’indétermination du temps de la peine comme c’est le cas pour la rétention et la surveillance de sûreté. Or, le PSEM révèle une autre dimension de cette « rupture » qui n’est pas temporelle mais spatiale. Avec lui, tout se passe comme s’il n’était plus nécessaire d’enfermer les individus même les plus « dangereux » pour protéger la société et corriger des comportements déviants. Ainsi, le rapport Fenech rappelle que la mise en place d’une géolocalisation de certains condamnés « devrait contribuer à la réinsertion des personnes concernées en facilitant leur mobilité géographique tout en permettant aux services de contrôle de s’assurer, le cas échéant, de la localisation du condamné avec précision et rapidité3. » Ce rapport fait même une référence, bien rapide, à l’oeuvre de Gilles Deleuze en soulignant que cette innovation technologique résulte de la crise des modèles disciplinaires carcéraux. « Le paradigme du milieu clos ne correspondant plus au monde actuel qui est davantage tourné vers une prise en compte des individus dans le mouvement permanent qui les anime. […] L’objectif du pouvoir de contrôle n’est plus comme le pouvoir disciplinaire d’imposer une stabilité mais de s’assurer de la traçabilité de l’individu4. » De ce point de vue le PSEM représenterait une rupture majeure de notre modèle pénal, en particulier dans ses caractéristiques spatiales. La possibilité technologique de localiser des individus en permanence impliquerait une désuétude de l’enfermement, à tel point que l’on peut laisser sortir sous surveillance les individus les plus « dangereux ». Il s’agirait alors bien du début de la fin du modèle carcéral, c’est-à-dire en suivant Foucault, d’un dépassement de la lèpre et de la peste comme modèles politiques de gestion de l’espace et des populations.

1. Les modèles de l’espace carcéral chez Foucault: lèpre et peste

« Il me semble qu’en ce qui concerne le contrôle des individus, au fond, l’Occident n’a eu que deux grands modèles : l’un, c’est celui de l’exclusion du lépreux ; l’autre, c’est le modèle de l’inclusion du pestiféré 5. » Selon Foucault, la forme la plus traditionnelle de mise à l’écart de la société d’un certain type d’individus est l’exclusion des lépreux hors des villes et des villages. Plus exactement, Foucault ne prétend pas faire l’histoire de cette pratique de telle manière que l’enfermement moderne en apparaisse comme l’héritier direct. Foucault s’empare de la gestion médiévale de la lèpre pour en faire un modèle politique aux enjeux éminemment spatiaux. La lèpre représente à la fois une pratique ancestrale et le schéma le plus pur du type de violence politique qui s’exprime dans l’espace par le geste de l’exclusion. L’important n’est donc pas l’exactitude historique de la description foucaldienne, mais l’efficacité de ce modèle pour comprendre le fonctionnement et la signification de cette manière de gérer la répartition des populations dans l’espace, quelle qu’en soit l’époque. Ce modèle est d’autant plus important qu’il possède une forte actualité, à la fois dans les pratiques et les représentations de l’exclusion et de l’enfermement. Pour Foucault, il est surtout décisif d’un point de vue théorique parce que son opposition et son articulation avec le modèle de la peste peut rendre compte de l’ambiguïté native des pratiques modernes d’enfermement.

Le modèle politique de gestion de la lèpre possède quatre grandes composantes qui l’opposent au modèle de la peste. En premier lieu, l’exclusion des lépreux consiste à exercer une séparation stricte entre deux types de populations. Il s’agit d’abord d’effectuer un tri, un partage, entre des individus sains et des individus dangereux parce que malades et contagieux. Pour ensuite assurer, d’une manière ou d’une autre, une étanchéité entre les espaces occupés par ces populations. Autrement dit, il s’agit d’une « règle de non-contact entre un individu (ou un groupe d’individu) et un autre6» Ainsi, l’exclusion est d’abord une interdiction de présence en certains lieux pour certaines personnes. Deuxièmement, cette exclusion tend à créer une dissymétrie absolue entre les deux pôles de la disjonction. Il ne s’agit pas seulement de séparer deux groupes l’un et l’autre, mais l’un de l’autre. L’étanchéité recherchée consiste à distinguer un dedans et un dehors dans le sens où le dedans doit être protégé du dehors. Les individus « dangereux » sont rejetés vers le dehors pour préserver ceux qui vivent dedans. L’exclusion passe donc essentiellement par une opposition entre deux espaces et ceux qui les habitent. Troisièmement, ceux qui sont exclus sont abandonnés au sens propre. Ils ne sont pas seulement parqués dans des zones dégradées de la société, ils en sont radicalement exclus juridiquement et politiquement. Ils sont en-deçà du droit commun et ils sont à l’extérieur des mécanismes sociaux et politiques qui assurent la survie et gèrent la vie du reste de la population. Ainsi, les lépreux sont disqualifiés juridiquement de telle manière que l’on peut hériter de leurs biens. Par ailleurs, la lèpre n’est pas une chose médicale. Incurable, elle sort du champ de l’action thérapeutique et il ne reste qu’à attendre la mort au bout d’un long processus de dégradation physique. L’exclusion signifie l’abandon dans un non-lieu délaissé qui annonce déjà le néant de la mort. Enfin, l’exclusion des lépreux possède avant tout une dimension symbolique. Il s’agit d’un rite de purification beaucoup plus que d’une mesure sanitaire. Le rêve du modèle politique de la lèpre serait celui d’une « communauté pure7 ». Or, ce modèle politique de gestion de la lèpre ne disparaît pas avec elle. Le geste de l’exclusion va se déporter sur d’autres types de populations. « La lèpre disparue, le lépreux effacé, ou presque, des mémoires, ces structures resteront. Dans les mêmes lieux, souvent, les jeux de l’exclusion se retrouveront, étrangement semblables deux ou trois siècles plus tard. Pauvres, vagabonds, correctionnaires et « têtes aliénées » reprendront le rôle abandonné par le ladre8. »

Cependant, selon Foucault, la manière de réagir aux épidémies de peste est devenue du 17e au 18e siècles un nouveau modèle politique supplantant en importance l’exclusion des lépreux. D’une part, la peste possède une puissance de contagion et une virulence sans commune mesure avec la lèpre qui est en train de décroître à cette époque. Surtout, la peste ne peut pas être exclue parce qu’elle n’est pas visible tout en étant déjà là. Quand la peste touche une ville, il faut faire comme si tout le monde était atteint et on ne peut pas bannir tout le monde. D’autre part, la promotion de la gestion de la peste au rang de modèle politique signale le développement de nouvelles technologies de gouvernement liées à l’émergence de la monarchie administrative. Ces technologies se distinguent du modèle de la lèpre qui correspond au geste fondateur de la souveraineté – la mise au ban ‑ par leur positivité – plutôt inclure que rejeter, plutôt savoir que méconnaître, plutôt assister que délaisser. « Plutôt que le partage massif et binaire entre les uns et les autres, elle appelle des séparations multiples, des distributions individualisantes, une organisation en profondeur des surveillances et des contrôles, une intensification et une ramification du pouvoir9. »

Cette nouvelle technologie de pouvoir s’oppose terme à terme au modèle de la lèpre, en particulier selon leurs dimensions spatiales. Premièrement, la gestion de la ville pestiférée n’est pas une exclusion mais une inclusion. Il ne s’agit pas de rejeter à l’extérieur de la société mais de clore une société sur elle-même. La mise en quarantaine de la ville a beau interdire de sortir, il s’agit surtout de contraindre une population à demeurer chez elle. L’inclusion des pestiférés est une obligation de présence dans certains lieux. Cette obligation de présence se caractérise surtout par une obligation de visibilité. « Chacun enfermé dans sa cage, chacun à sa fenêtre, répondant à son nom et se montrant quand on lui demande10. » Deuxièmement, il ne s’agit pas d’opposer d’une manière binaire un dedans et un dehors. Bien sûr, la ville est fermée pour protéger le reste du territoire. Mais cela ne les oppose pas comme un dehors et un dedans. La ville en quarantaine ne s’oppose pas à l’extérieur comme une population malade à une population saine. Dans la ville elle-même, il y a des malades et d’autres qui ne le sont pas. Le but de l’isolement n’est pas d’abandonner des exclus mais de limiter au maximum les effets de la maladie pour les habitants de la ville et pour les autres. Bref, l’espace de la peste n’est pas un dehors et il n’a pas de dehors. L’opération spatiale propre à la peste n’est pas de tracer une ligne de démarcation entre deux espaces mais d’effectuer le quadrillage d’un seul et même espace. La gestion de l’espace pestiféré n’est pas binaire ou absolue mais différentielle et relative. Il s’agit de créer la segmentation la plus fine possible de telle manière que chacun ait la place qui lui convient. « Individualisation, par conséquent, division et subdivision du pouvoir, qui arrive jusqu’à rejoindre le grain fin de l’individualité 11. » Troisièmement, l’espace de la peste, bien loin d’être abandonné, est saturé de règlements, de surveillance, de mécanismes de pouvoir. Il s’agit d’abord d’éliminer autant que possible les zones d’ombre. Le quadrillage administratif a pour fonction de mettre à plat l’espace tortueux, épais et complexe de la ville afin de permettre un éclairage total de l’espace, une visibilité absolue des corps qui l’occupent. Les informations recueillies par cette optique artificielle sont enregistrées de telle manière que l’on puisse suivre l’évolution de chaque cas afin d’adapter sa prise en charge. L’espace de la peste a fondamentalement une vocation thérapeutique qui repose sur une classification permanente selon une norme de santé. L’inclusion des pestiférées est idéalement une prise en charge complète des individus grâce à un investissement total de l’espace. Quatrièmement, il ne s’agit pas là d’un rite de purification dont la portée serait essentiellement symbolique mais d’une technologie de gestion biopolitique de la population qui doit produire des résultats tangibles et mesurables. « Il s’agit avec la peste, d’une tentative pour maximaliser la santé, la vie, la longévité, la force des individus. Il s’agit au fond de produire une population saine12. » Cette production de santé et, par extension, de normalité est d’abord une lutte permanente contre le désordre13. Le rêve du modèle politique de la peste est « une société disciplinée14 » où chacun est à sa place.

« Schémas différents, donc, mais non incompatibles. Lentement, on les voit se rapprocher. […] Traiter les « lépreux » comme des « pestiférés », projeter les découpages fins de la discipline sur l’espace confus de l’internement, le travailler avec les méthodes de répartition analytique du pouvoir, individualiser les exclus, mais se servir de ces procédures d’individualisation pour marquer des exclusions – c’est cela qui a été opéré régulièrement par le pouvoir disciplinaire depuis le début du XIXe siècle15. » L’approche par l’espace est un bon angle pour illustrer l’ambiguïté native de la prison pénitentiaire moderne entre « punition » et « amendement » – dans un langage quelque peu désuet – ou entre « sanction » et « réinsertion » dans un langage plus actuel, bref, entre l’exclusion comme abandon et l’inclusion comme traitement de normalisation. Si le projet panoptique est bien celui d’un espace d’enfermement de type « peste », où les individus sont plongés dans un milieu saturé de pouvoir qui les surveille, les individualise, les dresse dans le but de les transformer16, la prison réelle reste largement un espace d’ombre, de délaissement et de mort. « Achoppant perpétuellement sur l’inertie des comportements et les problèmes financiers, la réforme échoue à créer un nouvel espace carcéral. […] Envers immobile d’un décors imaginaire, la prison réelle reste le monde de l’enchaînement, de l’entassement, de l’indifférencié17. » La prison moderne, à la fois exclusion des criminels comme des lépreux incurables et inclusion des délinquants comme des malades à guérir, produit cet espace carcéral d’inclusion exclusive qui est toujours le nôtre. C’est vis-à-vis de cet espace carcéral, à la fois archaïque et ambigu, que le PSEM (dans le sillage du PSE classique) provoquerait une rupture radicale en créant un espace ouvert de la pénalité dans lequel la surveillance passerait surtout par un pouvoir technique de traçabilité des déplacements.

2. La traçabilité des déplacements, le modèle de la variole

Or, Foucault lui-même a développé un troisième modèle politique portant le nom d’une maladie pour compléter sa théorie du pouvoir. Dans le cours au Collège de France de 1977-1978 intitulé « Sécurité, territoire, population », Foucault note les insuffisances des modèles juridiques et disciplinaires pour rendre compte des formes spécifiques de gouvernementalité qui se mettent en place dès le 18e siècle – formes qu’il appelle « dispositifs de sécurité ». C’est ainsi qu’il mobilise l’exemple de la variole ou plutôt de sa gestion moderne par la vaccination18. La variole possède cette particularité essentielle d’avoir été largement jugulée grâce à des techniques (inoculation, variolisation puis vaccination) qui sont extrêmement efficaces, préventives et généralisables. L’essentiel de l’action face à la variole ne consiste pas à soigner des gens atteints par la maladie. Ces soins ne consistent d’ailleurs qu’à soulager les souffrances dues aux symptômes pas à permettre une guérison. La gestion de la variole est essentiellement préventive en provoquant l’immunité de la population grâce au contact avec une version affaiblie du virus. Le problème propre à cette action n’est donc plus celui de la maladie et des malades, curables ou non, mais de l’immunisation de la population saine et du contrôle de l’efficacité de cette immunisation. Un problème « qui n’est plus celui de l’exclusion comme dans la lèpre, qui n’est plus celui de la quarantaine comme dans la peste, qui va être le problème des épidémies et des campagnes médicales 19. » Or, cela implique un modèle de gestion de l’espace et des population tout à fait différent, bien que Foucault ait peu développé cet aspect proprement spatial.

C’est pourquoi il faut extrapoler assez largement le texte de Foucault pour esquisser un modèle politique et spatial de la variole qui réponde terme à terme aux modèle de la lèpre et de la peste. Premièrement, le vacciné – que l’on peut appeler un « convalescent » – doit pouvoir se déplacer même si ses déplacements impliquent des risques pour lui-même ou les autres. La vaccination a pour but que les individus puissent se déplacer et non pas être exclus ou rester en quarantaine. Deuxièmement, la règle de ces déplacements n’est pas fixée a priori. L’individu n’a pas d’interdictions ou d’obligations particulières en termes de lieu. Ce qui importe n’est pas qu’il soit ou ne soit pas à tel endroit mais vers où il se dirige et ce qu’il est susceptible de rencontrer sur son chemin. Il ne s’agit plus ici d’un problème de lieu mais de mise en relation dynamique entre des éléments en mouvement. C’est pourquoi le modèle politique de la variole ne délimite pas un espace spécial mais investit l’ensemble de l’espace occupé par une population. C’est sur l’ensemble du territoire tel qu’il existe qu’il faut pouvoir repérer l’ensemble des déplacements en fonction des risques qu’ils représentent. Ni séparation, ni quadrillage mais traçabilité des déplacements sur tout le territoire. Troisièmement, il n’est pas question d’abandonner ou de soigner, mais de suivre des individus qui sont susceptibles de se déplacer. Selon ce modèle, il ne s’agit pas d’isoler des incurables, ni de soigner des malades, mais de surveiller des individus normaux qui possèdent une certaine fragilité ou vulnérabilité. L’action qui suit la vaccination est essentiellement de l’ordre du contrôle de routine, de la vérification, du test. Les individus suivis doivent être systématiquement soumis à un contrôle probatoire de l’évolution de leur cas20. Quatrièmement, le rêve du modèle politique de la variole n’est plus la communauté pure ou la société disciplinée mais plutôt celui d’un système social auto-régulé qui « marche » tout seul comme une montre bien réglée.

3. Le PSEM, la lèpre, la peste et la variole

En fait, il est assez facile de voir que le PSEM cumule ou superpose ces trois modèles de gestion de l’espace – lèpre, peste et variole – bien que d’une manière « virtualisée », c’est-à-dire, entre autres caractéristiques, largement dématérialisée21. En premier lieu, le système des zones d’exclusion reconduit le modèle de la lèpre. Il faut établir une séparation, une étanchéité entre le placé et une certaine catégorie de populations. Cela implique deux choses. D’une part, le placé est considéré d’une telle dangerosité que le simple contact ou le simple rapprochement géographique est conçu comme intolérable, la fameuse « dangerosité criminologique » révèle ici sa nature fantasmatique sous la forme d’un pouvoir de contagion extrême. D’autre part, cette dangerosité est sélective. On considère que cette stricte « règle de non-contact » ne concerne que certaines catégories de personnes. A la typologie des agresseurs répond une typologie des victimes potentielles : « Oui ! Parce que c’était une affaire de mœurs sur jeunes adolescentes ! Donc j’ai regardé sur Mappy22, tout ce que je pouvais voir aux alentours ! » (Conseiller d’insertion et de probation, CIP23) « Il était demandé d’indiquer tous les établissements qui effectivement accueillaient des mineurs dans le secteur. […] C’est nouveau, puis en plus, moi je trouvais que c’était une responsabilité importante dans le sens où, si j’en oubliais un, vous imaginez ! » (CIP) Or, dans la mesure où le dispositif technique ne permet pas de définir une règle d’exclusion relationnelle – selon le type d’individu – mais seulement géographique – selon le lieu – la détermination des zones d’exclusion peut s’avérer proprement « kafkaïenne ». « C’était, en gros : « Indiquez s’il y a des écoles, des centres aérés » Des choses à éviter, quoi ! Lui, il se trouvait qu’il n’avait jamais commis d’infractions sur mineurs et que c’était sur des jeunes femmes. Donc, la question, en fait, était la suivante, c’était : « Est-ce qu’il faut exclure les zones pour mineurs, alors qu’il n’a jamais, qu’il ne s’en est jamais pris à des mineurs. Et puis, si on doit exclure les zones où il y a les femmes, on va rigoler 5 minutes, parce qu’à moins de le mettre sur la planète Mars ! » (CIP) En raison de ces difficultés, les zones d’exclusion sont en fait un élément secondaire de la mesure qui repose bien davantage sur les zones d’inclusion et la traçabilité. « Du coup, j’ai indiqué qu’il m’était impossible d’indiquer les zones où il y avait des mineurs, parce qu’ils étaient trop proches pour faire des exclusions. » (CIP)

Deuxièmement, le système des zones d’inclusion reconduit le modèle de la peste dans le sens d’une obligation de présence en certains lieux à certains moments. Plus précisément, le fonctionnement des zones d’inclusion est proprement disciplinaire de trois manières. D’abord, il s’agit de fixer l’individu dans l’espace, en particulier de l’assigner à domicile le soir, la nuit, voire le week-end. Ensuite, le principe des zones d’inclusion doit servir à vérifier le respect d’obligations comme le travail, une formation ou des soins, en particulier psychiatriques. Les horaires d’assignation auraient pour vocation d’encadrer l’ensemble des activités orientées vers la transformation du placé. « En terme de prévention de la récidive c’est quand même la zone d’inclusion qui, moi, ce qui me parait quand même essentiel, c’est quand même là dessus que l’on travaille le plus. Après, effectivement, de savoir pour celui qui porte le PSEM que tous ses déplacements sont suivis cela peut, peut-être, lui interdire… mais plus de façon intériorisée, d’aller dans certaines zones. » (Juge d’application des peines) Enfin, les horaires d’assignation fonctionnent comme un système permanent de récompense et de punition – assouplissement éventuel des horaires le soir ou le week-end ou au contraire durcissement en cas de manquements. Les zones d’inclusion fonctionnent comme une système de normalisation, dans le sens tout à fait classique d’un dressage comportemental grâce à une inspection panoptique24.

Troisièmement, le PSEM permet un contrôle tout à fait spécifique qui porte sur l’analyse des risques inhérents à la mobilité du placé grâce au journal de tous ses déplacements enregistrés par l’ordinateur. La circulaire du 28 janvier 2008 relative au placement sous surveillance électronique mobile indique clairement qu’il s’agit là d’une obligation pour le personnel d’insertion et de probation. « Le journal quotidien des déplacements de la personne placée sous surveillance électronique mobile doit être analysé régulièrement par le SPIP, qui sera ainsi amené à exercer un contrôle sur ses déplacements, ce qui ne saurait exclure une analyse ponctuelle du juge de l’application des peines. Ainsi, la fréquence d’un déplacement non motivé par l’exercice de l’activité professionnelle ou le suivi de soins, devra amener le travailleur social en charge du suivi à s’interroger sur le fait de savoir si la personne placée […] n’a pas pris pour habitude par exemple de se rendre dans des sites plus particulièrement fréquentés par des mineurs, comme les écoles, les jardins d’enfants, les gares routières ou ferroviaires. Il pourra également vérifier a posteriori le respect des rendez-vous médicaux pris dans le cadre de l’obligation ou de l’injonction de soins. »  Malgré cette obligation réglementaire, l’analyse des déplacements semble peut pratiquée actuellement du fait de la complexité et de la lourdeur qu’elle implique à quoi s’ajoute la réticence des personnels face à un type de contrôle inédit et peu en accord avec la conception qu’ils se font de leur métier. Pourtant, cette possibilité de contrôle existe, certains le pratiquent et la banalisation progressive du PSEM ne pourra que le développer. « Ils se sont rendu compte qu’un PSEM se déplaçait très régulièrement à un endroit, sans que ça corresponde, ni au lieu de travail, ni à un lieu de soin ou autre. Et, apparemment, il fréquentait une femme qui avait des enfants. Sauf que moi je me dis, en admettant que M. X fréquente une femme avec des enfants, j’en ai discuté avec lui. Je lui ai dit : « C’est évident que si vous rencontrez quelqu’un, autant vous dire que c’est quand même mieux si elle n’a pas d’enfant, même si bon ! » Parce que je lui ai dit : « Même si on fait un projet de vie en concubinage, s’il y a des enfants, la juge ne l’accordera pas » En tous cas, jusqu’à la fin du PSEM, après il fera ce qu’il voudra mais il prend le risque de récidive. » (CIP)

Cette analyse schématique de la spatialité propre au placement sous surveillance électronique mobile suggère trois remarques en guise de conclusion. La première est d’ordre méthodologique. Il ne faut pas se laisser aveugler par les innovations technologiques, par les aspects high-tech des nouvelles formes punitives ou sécuritaires, et croire naïvement qu’elles opèreraient sans continuité avec les formes les plus « archaïques ». Il faut privilégier, au contraire, une approche continuiste et, plus précisément, une analyse des phénomènes d’accumulation ou de superposition des rationalités et des pratiques de pouvoir. « Il n’y a pas l’âge du légal, l’âge du disciplinaire, l’âge de la sécurité. […] Ce qui va changer, c’est la dominante ou plus exactement le système de corrélation entre les mécanismes juridico-légaux, les mécanismes disciplinaires et les mécanismes de sécurité. […] Une technologie de sécurité par exemple va se mettre en place, reprenant en compte et faisant fonctionner à l’intérieur de sa tactique propre des éléments juridiques, des éléments disciplinaires, quelquefois même en les multipliant25. » Prononcées en 1978, ces phrases indiquent parfaitement la manière dont il faut aborder le « système de corrélation » propre aux nouvelles technologies de gouvernement. La deuxième remarque consisterait à pointer l’ambiguïté fondamentale de ce type de mesures. La superposition des modèles spatiaux indique la nature équivoque du traitement imposé au « placé », à la fois neutralisation, correction et probation et donc l’ambivalence de la figure de la délinquance et de la criminalité que le PSEM dessine comme en creux. Le placé est à la fois un incurable à exclure, un malade à guérir et un individu à risque qu’il faut contrôler. Dès lors, quel sens donner à cette nouvelle « expérience pénale » ? Le processus de subjectivation qu’elle induit ne possède-t-il pas lui-même une certaine « dangerosité » ? Enfin, et surtout, il faut insister sur le fait que le nouvel espace pénal annoncé par le PSEM n’est pas une simple dématérialisation de l’enfermement classique remplacé par un contrôle mobile insensible et ceci pour deux raisons : D’une part, le PSEM s’ajoute à l’espace carcéral classique et ne le remplace pas. D’autre part, il institue de nouvelles délimitations sur l’espace ouvert ou bien il durcit des contraintes spatiales existantes. Ces contraintes sont à la fois d’exclusion et d’inclusion auxquelles s’ajoutent un pistage permanent. Tout cela, bien loin de dépasser la carcéralité classique, n’en représente qu’un développement cohérent et une extension inquiétante.

1« De façon anodine, le gouvernement va saisir le Parlement d’un projet de loi créant la « rétention de sûreté » dans notre droit pénal. Il s’agit d’un changement profond d’orientation de notre justice.» Robert Badinter, « La prison après la peine » dans Le Monde du 28 novembre 2007

2A ce sujet, voir, par exemple, Christine Lazerges, « L’électronique au service de la politique criminelle : du placement sous surveillance électronique statique (PSE) au placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) » dans la Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, janvier/mars 2006, n°1, p. 196 « Dénier au bracelet électronique le caractère de peine ou de sanction et ne l’analyser que comme une modalité d’exécution des peines sans caractère punitif, contrairement à toute la jurisprudence antérieure, y compris de la Cour de cassation, est stupéfiant même au regard du rapport « Fenech » qui sans hésitation aucune qualifiait le PSE ou le PSEM de peines. »

3Georges Fenech, Le placement sous surveillance électronique mobile, Ministère de la Justice, 2005, p. 13

4Georges Fenech, op. cit., p. 15. Il s’agit de la reprise rapide dans l’introduction des arguments d’Antoine Garapon, utilisant, lui-même rapidement, les concepts de Foucault et de Deleuze dans sa participation au rapport.

5Michel Foucault, Les anormaux. Cours au Collège de France. 1974-1975, Gallimard/Le Seuil, Hautes études, 1999, p. 41

6Ibid., p. 40

7Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, Tel, 1975, p. 232

8Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, Tel, 1972, p. 16

9Michel Foucault, Surveiller et punir, p. 231

10Ibid., p. 229

11Michel Foucault, Les anormaux, p. 43

12Idem

13« Derrière les dispositifs disciplinaires, se lit la hantise des « contagions », de la peste, des révoltes, des crimes, du vagabondage, des désertions, des gens qui apparaissent et disparaissent, vivent et meurent dans le désordre. » dans Michel Foucault, Surveiller et punir, p. 231

14Ibid., p. 232

15Idem

16Voir Jeremy Bentham, Le Panoptique, Belfond, collection l’échappée, 1977

17Michelle Perrot, « L’impossible prison » dans L’impossible prison, Seuil, L’univers historique, 1980, p. 61

18La variole n’est pas présentée par Foucault comme un modèle politique de la même manière que la lèpre ou la peste. Elle est plutôt un exemple parmi d’autres (urbanisme, disette) pour illustrer les caractéristiques propres aux « dispositifs de sécurité » pour les distinguer des systèmes légaux et des mécanismes disciplinaires.

19Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1978, Gallimard/Seuil, Hautes Etudes, 2004, p. 12

20« La tâche du vaccinateur n’est pas remplie, répéterai-je encore, lorsqu’il a inséré le vaccin, mais il a dû revoir ses vaccinés à plusieurs époques différentes, savoir: au 3e, 5e, 7e, 11e et 16e jour; et les administrations ne doivent pas récompenser ceux qui vaccinent, uniquement d’après le plus grand nombre de noms que contiennent leurs listes, mais d’après le nombre certifié des opères qui ont été suivis, et sur lesquels on a pu s’assurer de la réussite complète de la vaccination. » François-Emmanuel Fodéré, Mémoire sur la petite vérole vraie et fausse et sur la vaccine, J.-H. Heitz (Strasbourg), 1826, pp. 121-122

21Sur la virtualisation des délimitations de l’espace nous ramenons à notre ouvrage : Olivier Razac, Histoire politique du barbelé, Flammarion, Champs essais, 2009, en particulier les pages 143 à 159

22Site Internet de cartographie routière

23Extraits d’entretiens recueillis par l’auteur en mars 2008 et issus d’un travail de recherche plus vaste sur la question du PSEM et de l’évolution du modèle pénal.

24« De là, l’effet majeur du Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l’actualité de son exercice ; […] bref que les détenus soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs. » Michel Foucault, Surveiller et punir, pp. 234-235

25Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, p. 10