Éclectisme


(Cet article fait partie du premier numéro de la revue Casus Belli : Où va la France ? qui prend la forme d’un abécédaire)

La question de savoir comment une autorité arrive à s’imposer, c’est-à-dire à produire des effets d’obéissance, appelle de multiples réponses : par la force, par la position sociale, par le mensonge ou l’illusion, par la raison etc. Souvent, bien sûr, nous sommes gouvernés par un mélange de toutes ces modalités d’exercice du pouvoir. Chacune possède ses propres exigences, de puissance, de hiérarchie, de ruse, d’argumentation, qui peuvent entrer en synergie ou au contraire se contrecarrer. Ceci est très classique. Pour autant, l’actualité de notre régime de gouvernement, en particulier en France, engage à faire le focus sur deux caractéristiques relativement étonnantes de l’autorité politique. D’un côté, il ne faudrait pas négliger le reste de gouvernement par la raison dans les discours institutionnels et politiciens. En fait, la justification rationnelle de l’autorité possède encore une place décisive dans les démokraties, malgré les apparences. L’autorité gouvernementale continue de rechercher ce qu’on pourrait appeler une obéissance minimale, volontaire et rationnelle, qui fluctue entre la passivité névrotique et la résistance neutralisée. Car, en effet, il ne s’agit pas de produire l’adhésion sans reste à l’autorité ; ceci est non seulement hors d’atteinte mais irrationnel et inutile pour une gouvernementalité néolibérale. Cette obéissance, l’autorité l’obtient par des formes d’argumentation justifiant son droit à gérer l’état des choses par les multiples jeux de contraintes et de stimulations dont elle dispose. Mais, d’un autre côté, cette exigence rationnelle ne suffit pas à expliquer notre condition de gouvernés (elle la rend même incompréhensible). En effet, si on l’accepte sans reste, alors, d’une certaine manière, tout va bien – ce qui ne viendrait à l’idée de personne évidemment. Si l’autorité repose sur une argumentation rationnelle, il reste aux gouvernés insatisfaits à opposer d’autres formes d’argumentations qui rempliraient d’une manière plus satisfaisante des conditions partagées de rationalité. Tout le monde sait, là aussi, que cela ne marche pas. Parce que le pouvoir est arbitraire, violent, qu’il ment et manipule, d’accord. Mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’il manipule des formes hétérogènes d’argumentations qui produisent des effets variables de conviction qui se combinent pour produire une obéissance minimale. C’est ce que l’on se propose d’appeler ici un éclectisme des formes de justification de l’autorité politique. (…)

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A propos de Razac

Après des études de philosophie à l'Université Paris 8 dans les années 90 et une période de production d'essais de philosophie politique sur des objets contemporains (le barbelé et la délimitation de l'espace, le zoo et le spectacle de la réalité, la médecine et la "grande santé"). J'ai travaillé pendant huit ans comme enseignant-chercheur au sein de l'Administration Pénitentiaire. C'est dans cette institution disciplinaire que j'ai compris ce que pouvait signifier pour moi la pratique de la philosophie, c'est-à-dire une critique des rationalités de gouvernement à partir des pratiques et dans une perspective résolument anti-autoritaire. Depuis 2014, j'ai intégré l'université de Grenoble comme maître de conférences en philosophie. Je travaille sur la question de l'autorité politique, sur les notions de société du spectacle et de société du contrôle. J'essaie également de porter, avec les étudiants, des projets de philosophie appliquée déconstruisant les pratiques de pouvoir. Enfin, nous tentons de faire vivre un réseau de "philosophie plébéienne", anti-patricienne donc, mais aussi en recherche de relations avec tous nos camarades artisans de la critique sociale.

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