pénal


Éprouver le sens de la peine: Les probationnaires face à l’éclectisme pénal

Le sens de la peine dans les démocraties libérales est problématique parce qu’il repose sur une multiplicité de logiques (de finalités et de moyens) hétérogènes, sans cohérence a priori. Cet éclectisme des rationalités pénales est plus marqué encore dans le cas de la probation qui est une forme de justice contractualisée prétendant prévenir la récidive par un accompagnement pluridisciplinaire en dehors de la prison. Plus concrètement, l’analyse des logiques qui orientent et justifient les prises en charge des condamnés par les agents de probation fait apparaître des contradictions entre les rationalités pénale, éducative, sociale, sanitaire, de gestion des risques et de gestion administrative. Ces contradictions fragilisent le positionnement des agents et l’on peut également penser qu’elles brouillent le sens de la peine pour les condamnés. Pour autant, cela n’empêche pas le système pénal de fonctionner et les peines d’aller à leur terme. Cela est rendu possible par la plasticité des […]


Contre l’abolitionnisme ?

Le titre choisi, «contre l’abolitionnisme», de la prison ou de la peine, même assorti d’un point d’interrogation, peut certes paraître un peu brutal. Quoique pas pour tout le monde, pour beaucoup il s’agirait plutôt d’une évidence. Mais ici, au sein de réflexions sur les rapports entre peine et utopie, il sonne comme une provocation. En fait, il faut l’entendre d’une manière plus malicieuse. Ce propos n’a pas vocation à rejeter purement et simplement une position politique mais à la problématiser pour pouvoir se la réapproprier… Article issu d’une intervention au colloque Peine et utopie organisé par Jérôme Ferrand, Marc Ortolani et Ugo Bellagamba (laboratoires Ermes, Université Côte d’Azur et Cerdap2, Université Grenoble Alpes) à Nice les 7 et 8 décembre 2017 (http://epi-revel.univ-cotedazur.fr/publication/peine-et-utopie) Télécharger l’article complet


La critique de l’expertise psychiatrique chez Foucault

Télécharger le PDF 1. La critique du niveau de savoir          « Des discours qui font rire1 » Le début du cours au Collège de France de 1974-1975 intitulé « Les anormaux » est une attaque en règle contre l’expertise psychiatrique. Le premier angle d’attaque choisi par Foucault est une sorte de preuve « par l’exemple ». Un peu à la manière du début de « Surveiller et punir » où il juxtapose la description du supplice de Damiens et le règlement d’une prison pour mineurs du 19e siècle pour en faire apparaître le contraste, Foucault fait la lecture de larges extraits de deux expertises psychiatriques, une de 1955 et l’autre de 1973. L’objectif de cette lecture n’est pas d’abord de faire comprendre quelque chose mais de provoquer un effet, et cet effet est évident, au minimum ces expertises font sourire. Une note de la publication du cours fait même référence « aux fréquents rires qui ont accompagné la […]


L’insertion des personnes condamnées : police ou politique ?

Ce texte est issu d’une intervention aux Journées internationales de la recherche en milieu pénitentiaire, Insertion et désistance des personnes placées sous main de justice, à L’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire, Agen, 2010 Télécharger le PDF   Introduction : Police et politique Le problème de l’insertion est habituellement présenté comme celui de la recherche d’un bon rapport entre l’économique et le social, c’est-à-dire entre la logique de l’échange marchand des biens et des services et la logique du lien social, de ce qui permet d’assurer la cohésion de la société. Et, d’une manière générale, on nomme « politique » le problème de ce rapport. La politique interviendrait pour régler le rapport entre l’économique et le social par une série d’instruments (législatifs, réglementaires, incitatifs etc.). Or, pour le philosophe Jacques Rancière, si l’on en reste là on rate, ou on oublie, la dimension proprement politique de phénomènes comme l’exclusion ou l’inégalité. Il ne […]


L’application des peines entre ennemi, citoyen, menace et usager

Article initialement paru  dans la revue Jurisprudence. Revue critique, numéro spécial, 2015, Université Savoie Mont Blanc Télécharger le PDF Face à la question redoutable du sens de la peine aujourd’hui, le premier réflexe serait l’abstention ou l’esquive tant les difficultés qu’elle pose semblent insurmontables. Il est pourtant intéressant de s’attarder un peu sur la nature de ce réflexe, les idées et sentiments qu’il suscite, parce que cela est plein d’enseignement. En effet, nous ne sommes pas embarrassés parce que nous ne trouvons pas de réponse, parce que la peine nous apparaîtrait dépourvue de sens tout court mais, au contraire, parce que plusieurs réponses, plus ou moins bien formulées, nous viennent pêle-mêle, que nous n’arrivons pas à ranger, à hiérarchiser. Autrement dit, le problème immédiat que nous pose le sens de la peine n’est pas celui d’une absence de signification mais, au contraire, d’une profusion contradictoire. Le problème que pose la […]


La force de l’aporie

Si l’on cherche à savoir ce que peut signifier l’idée d’une philosophie plébéienne, il y a, au moins, deux pistes qu’il faut distinguer clairement. Première piste, est-il question d’une philosophie faite par la plèbe ? Et, si oui, quelle est la nature exacte de cette « plèbe » ? Le sous-prolétariat, pour prendre des termes légèrement surannés, ou la grande majorité des gouvernés par opposition aux gouvernants ou dominants, ou encore, d’une manière certainement plus intéressante, un concept qui permet de distinguer la plèbe, toujours illégitime, et le peuple, qui peut devenir légitime1 ? Deuxième piste, que je vais suivre ici, la notion de philosophie plébéienne désigne une certaine manière de faire de la philosophie (peu importe par qui en termes sociologiques) qui se caractérise par une critique des prétentions à la vérité des discours (prétentions de savoir) et à la légitimité du gouvernement des autres (prétentions de pouvoir) – ces deux prétentions étant systématiquement […]


Faire de la philosophie dans l’Administration pénitentiaire

L’enseignement et la pratique de la philosophie trouvent d’autres lieux que l’enseignement secondaire ou universitaire. En particulier, elle peut être mobilisée ou s’insérer dans des champs d’activité, des champs professionnels très différents. Le problème initial consiste donc à se demander ce que devient la dimension nécessairement critique de la philosophie lorsqu’elle s’articule à des exigences pratiques, professionnelles, bureaucratiques, économiques et politiques. Ce problème, je voudrais l’aborder à partir de mon expérience d’enseignement-chercheur dans une institution bien particulière – l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap). L’Enap, située à Agen, est une école de formation professionnelle accueillant tous les personnels pénitentiaires de France. Elle possède également un centre de recherche qui participe aux enseignements. La question qui se pose dans un tel contexte est de comprendre quels efforts ou quelle inventivité sont nécessaires pour y trouver sa place. Or, je voudrais montrer que si, d’un côté, il est nécessaire d’adapter la démarche philosophique […]


« La prévention de la récidive » ou les conflits de rationalités de la probation française

Résumé : La notion de « prévention de la récidive » apparaît désormais, sinon comme l’alpha et l’oméga de la politique pénale en France, du moins comme un impératif de plus en plus surplombant. C’est particulièrement visible dans les orientations imposées aux Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) ces dernières années. En s’appuyant sur un double ensemble de sources écrites (textes normatifs, brochures, rapports…) et orales (une quarante d’entretiens avec des professionnels), cet article propose d’abord un repérage distinguant six rationalités structurantes du champ de la probation française. Sur cette base, il entend ensuite montrer que l’usage institutionnel de la « prévention de la récidive » a pour effet de recouvrir les contradictions et torsions qu’implique l’articulation de registres d’action hétérogènes. Il soutient alors la thèse selon laquelle cette notion non seulement ne produit qu’une clarification rhétorique des missions, qui nourrit plus qu’elle ne résout la confusion des pratiques, mais permet surtout de faire […]


L’hydre pénale à trois têtes

Premières lignes : Une faiblesse de la pensée, en particulier de la pensée critique, consiste à considérer les choses d’une manière binaire : c’est soi ça, soit ça. C’est en particulier le cas quand on essaie de comprendre comment fonctionnent les rationalités qui façonnent la manière dont se produit le savoir ou s’exerce le pouvoir. L’idée simpliste qui prévaut comme un réflexe est qu’il ne peut y avoir qu’une seule rationalité à la fois, une seule rationalité qui caractérise un dispositif, une institution ou notre époque  […] Article publié dans la revue Multitudes, 51, printemps 2013 Lien vers la page (Commentaire : Le titre n’est pas idéal. l’éclectisme des rationalités pénales n’est pas qu’à trois têtes mais à x têtes. Pour ça, voir la recherche Les rationalités de la probation française)  


Les rationalités de la probation française

Résumé : Depuis une vingtaine d’années, le champ de la probation française a connu des changements rapides, rythmés par une diversification des mesures pénales, une augmentation de la population suivie, mais aussi une série de textes réglementaires modifiant l’organisation des services et tentant de préciser, voire de redéfinir, la nature des missions. Cette évolution ne s’est pas déroulée sans provoquer des conflits révélateurs d’un problème de fond, qui réside dans la multiplicité des registres d’action que les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation doivent manipuler dans les prises en charge. On peut diagnostiquer que cet éclectisme des pratiques pose à la fois des problèmes théoriques, éthiques et politiques, relatifs à la maîtrise des différentes connaissances nécessaires, à la pluralité des positionnements relationnels et à celle des formes de légitimation. Cette recherche tente ainsi de définir le plus rigoureusement possible les rationalités qui structurent le fonctionnement de la probation française de […]


La surveillance électronique : un renouveau de l’utopie panoptique

Résumé : Le Placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) a été institué en France par la loi du 12 décembre 2005. Il a été présenté comme une rupture avec le modèle carcéral dans la mesure où il repose sur une géolocalisation des individus. Il permettrait ainsi d’effectuer les fonctions classiques de la peine : protéger la société, corriger les individus, favoriser leur réinsertion, sans les enfermer. Or, non seulement la surveillance électronique s’ajoute partout à l’architecture pénitentiaire. Mais, surtout,cette surveillance s’inscrit dans la continuité de l’utopie architecturale du Panopticon de Bentham, dans la mesure où il avait déjà pour finalité de «rendre inutile l’usage des fers ». L’analyse de la surveillance électronique montre qu’elle effectue d’une manière inédite les fonctions du Panopticon : assurer « l’omniprésence apparente de l’inspecteur » en permettant artificiellement sa « présence réelle ». Elle montre également qu’à côté des murs qui continuent de se construire […]


Le nouvel espace carcéral : lèpre, peste, variole

Résumé : Le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) est une des obligations possibles des nouvelles mesures de sûreté. Il permet un contrôle des déplacements en milieu ouvert grâce à l’association des technologies GPS et GSM. Il a pu être ainsi présenté comme en rupture avec la conception classique de l’espace pénal et, en particulier, carcéral. Avec le PSEM, tout se passe comme si l’on n’avait plus besoin d’enfermer les individus les plus dangereux pour protéger la société et prévenir la récidive. Et pourtant, cet enfermement virtualisé (qui n’est pas une virtualisation de l’enfermement) repose sur les caractéristiques de l’espace carcéral du 19e siècle. Espace que Foucault décrit comme la superposition paradoxale des modèles de la lèpre et de la peste. A ces deux modèles, la géolocalisation pénale ajoute la traçabilité qui correspond au troisième modèle foucaldien d’exercice du pouvoir, moins connu, de la variole. Voilà ce que nous devons […]


L’utilisation des armes de neutralisation momentanée en prison

Résumé : Les services de sécurité utilisent de plus en plus un matériel intermédiaire entre les armes à feu et la négociation ou l’intervention physique simple. Le personnel pénitentiaire n’échappe pas à cette évolution et a été doté depuis une quinzaine d’années de combinaisons d’intervention et de matraques, de gaz incapacitants et de munitions dites non-létales. La suite logique serait la dotation en matériel de dernière génération, en particulier des pistolets à impulsions électriques. Cette hypothèse est au coeur de ce travail d’enquête auprès des formateurs de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire. Cette évolution pose des questions proprement pénitentiaires, en termes opérationnels et éthiques, mais elle éclaire également le phénomène général d’un pouvoir répressif utilisant de plus en plus des méthodes de neutralisation. Loin du débat insuffisant sur la réalité de la « non-létalité » de ces armes, cette enquête vise à problématiser le pouvoir de neutralisation en tant que tel, c’est-à-dire cette […]


Mesures de sûreté et travail social pénitentiaire. Le cas du placement sous surveillance électronique mobile

Résumé : Le travail des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation connaît actuellement des transformations importantes illustrées, en particulier, par une réorganisation des services autour des nouvelles technologies, d’une approche criminologique et d’un management par objectifs. C’est dans ce contexte que le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) s’est mis en place depuis 2006. Doublement innovant, par ses caractéristiques techniques et le cadre des mesures de sûreté dans lequel il s’inscrit, le PSEM révèle avec force les ambiguïtés de la recomposition du champ de la probation en France. Accéder au texte sur le site de la revue Champ pénal/Penal Field


Le placement sous surveillance électronique mobile : un nouveau modèle pénal ?

Résumé : Le Placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) a été créé par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Il présente d’emblée une double nouveauté : technique parce qu’il repose sur une technologie de géolocalisation (GPS) et juridique parce qu’il s’inscrit dans le renouveau des mesures de sûreté. Il s’agit donc de savoir jusqu’à quel point il représente une rupture de notre modèle pénal. Plus précisément, le PSEM semble s’adresser à un personnage très différent du sujet pénal classique, ni sujet responsable de ses choix, ni objet responsable de son anormalité, ce nouveau personnage est un sujet qui doit prendre en charge sa dangerosité objective. Ensuite, cette surveillance électronique produit un nouvel espace-temps pénal, celui d’une traçabilité permanente pour un temps indéterminé. Enfin, le PSEM révèle avec force les lignes de tension d’un travail social pénitentiaire dans sa reconversion en probation sécuritaire. […]